Louis PINGON (1894-1944)
Maire de Saint Romain de 1934 à 1943 (de fait) et 1944 (administrativement)
I. Une famille de maçons
Louis Eugène Pingon, plus connu sous le nom de Louis Pingon, est né le 7 juin 1894, à Saint Romain en Gier, où ses parents Louis Philippe Pingon et Marie née Peillon vivaient dans la maison familiale, au lieu-dit »le Logis », en bordure de la rivière du Gier.
Le père de Louis Pingon exerce la profession d’entrepreneur en maçonnerie. Les Pingon sont, en effet, une vieille famille de maçons venus de Condrieu à Saint Romain en Gier, au tout début du XVIIIème siècle. En arrivant à Saint Romain, ils ont d’ailleurs perdu leur particule qui n’apparaît plus qu’en marge des registres paroissiaux.
En 1778, un dénommé Claude Pingon obtient une convention de travail des concessionnaires du nouveau canal grâce à l’appui du chanoine Gaspard de Pingon, mansionnaire de Givors qui est peut être un parent, sans qu’on puisse établir avec certitude le lien entre la noble famille savoyarde de Pingon et les Pingon de Saint Romain.
Louis Pingon a presque deux ans lorsque naît son frère Benoît (1896) qui lui aussi connaîtra une fin tragique. En 1897, la mère des deux garçons, Marie Pingon née Peillon décède des suites d’une tuberculose.
Louis Philippe Pingon, se remarie en 1902 à Julie Lecoq qui semble avoir eu une certaine influence sur le jeune Louis. En effet, c’est une femme dotée d’un fort caractère qui a des prises de positions politiques de gauche bien tranchées. Philosophiquement, elle ne fait pas mystère de son athéisme.
En grandissant, Louis Pingon va aider son père dans son entreprise de maçonnerie quand il est appelé sous les drapeaux le 1er septembre 1913.
II. Sous les drapeaux: l'épreuve de la ''Grande Guerre''
Le 1er septembre 1913, Louis Pingon s’engage d’abord au 134ème régiment d’infanterie puis au 16ème régiment de chasseurs à cheval à Mâcon. La 1ère guerre mondiale le surprend là et son unité est engagée, dès le 2 août 1914, sur le théâtre des opérations. Il participe à la bataille de Baccarat où le 14 août 1914 son cheval Flambeau est tué sous lui.
Il continue la guerre dans différents secteurs particulièrement en Champagne, Saint Mihel, Tahure et Verdun. Fin novembre 1916, il apprend la mort de son frère Benoît tué par une mine.
En 1917, il est détaché au groupe des grenadiers d’élite de la IVème armée où il opère plusieurs coups de mains. Promu maréchal des logis, il est cité à l’ordre du régiment le 13 octobre 1917. Suite aux engagements de la ferme Cornillon et de Tahure, il est cité à l’ordre de la IVème armée par le général Gouraud le 4 novembre 1917. Il est de nouveau cité à l’ordre de la division cette fois, en novembre 1918, pour avoir fait prisonnier, tout seul, plusieurs soldats allemands. Ces différentes citations valent à louis Pingon l’attribution de la Croix de Guerre avec palmes et médaille militaire. Ultérieurement, il recevra également la médaille de la victoire.
Louis Pingon ne sera démobilisé que tardivement, le 23 août 1919, après plusieurs mois de casernement à Grenade sur Garonne. Ces six longues années sous les drapeaux et sa conduite héroïque durant le conflit ont certainement forgé chez cet homme un sentiment patriotique très profond et sans concession vis à vis de l’envahisseur.
III. L'engagement radical socialiste et la mairie-école
Rendu à la vie civile, Louis Pingon reprend son métier d’entrepreneur en maçonnerie et épouse, en 1923, Blanche Hubert fille du percepteur de Rive de Gier. Ils auront trois enfants: M Guy Pingon né le 7 août 1924 au Logis à Saint Romain en Gier, une fille Colette née en 1930 et décédée des suites d’un catarrhe foudroyant en 1933, un second fils, enfin, Alain, né en 1934.
Politiquement, Louis Pingon s’engage, comme son père avant lui, au parti radical socialiste qui est alors un parti de masses bien implanté dans les zones de petites propriétés viticoles comme Saint Romain. C’est ce parti qui a, pour l’essentiel, obtenu en 1905 la loi de séparation de l’Église et de l’État. Être radical socialiste à l’époque, c’est militer pour une laïcité et un républicanisme de combat.
En 1926, Louis Pingon adhère officiellement au parti radical socialiste, au moment où son père Louis Philippe Pingon devient maire de Saint Romain en Gier en remplacement de Jean-Antoine Chazal (maire depuis 1904). Louis Philippe Pingon ne restera que trois années maire de Saint Romain, le temps de faire cependant procéder à l’électrification complète de la commune marquée par une cérémonie d’inauguration le 4 septembre 1927 (jour anniversaire de la IIIème république). Le 11 avril 1929, Louis Philippe Pingon décède d’une embolie consécutive à une opération de la hanche. Jean Antoine Chazal redevient maire de Saint Romain, avec une courte majorité de droite au conseil.
Entre temps, Louis Pingon a pris la tête de la petite section radicale socialiste de Saint Romain. Il va entrer en conflit avec Mr Chazal et sa majorité au sujet du projet de construction d’une nouvelle école . En effet, un des conseillers municipaux, Mr Deloire, propose que la commune lui rachète une bâtisse à usage de grange, contigüe à la maison du Logis, près du Gier. En ces années là, la rivière n’était pas encore partiellement régulée par les barrages du Pilat et de Saint Chamond et la bâtisse était régulièrement inondée… De plus le bâtiment n’avait rien de conforme en terme d’hygiène pour une future école. L’achat est pourtant engagé par le conseil.
C’est le début de l’affaire Deloire. Devant le tollé déclenché au sein de la population pour un achat jugé discutable et face à un Louis Pingon très offensif, Mr Chazal démissionne de son poste de maire et, plusieurs conseillers municipaux s’étant récusés, le préfet doit dissoudre le conseil municipal de Saint Romain le 14 novembre 1930.
Mr Maurice Claude est nommé maire pendant que Louis Pingon fait son entrée au conseil municipal. Le projet Deloire est arrêté mais il s’ensuit une bataille de procédure pour tenter de faire casser définitivement la vente.
Devant cette situation inextricable, le préfet du Rhône décide de faire procéder à de nouvelles élections municipales les 14 et 21 janvier 1934.
La liste radicale socialiste obtient la victoire et sa tête de liste Louis Pingon devient logiquement maire de Saint en Gier. C’est paradoxalement le projet de construction d’une nouvelle école qui a amené Louis Pingon à cette fonction.
Louis Pingon règle l’affaire Deloire en trouvant un compromis avec la veuve Deloire. Puis il va s’appuyer sur son réseaux d’influence et d’amitiés pour construire une nouvelle école conforme à ses idéaux. En effet, depuis plusieurs années, Louis Pingon appartient à la loge maçonnique « Concorde et Persévérance » animée par la sénateur socialiste de l’Isère Mr Brenier. Grâce à ses appuis, Louis Pingon obtient une entrevue avec le ministre de l’éducation de l’époque M Jean Zay. Le même jour, une importante subvention de l’état est accordée pour la construction du bâtiment.
La construction du groupe scolaire débute en 1938 avec Mr Aimé Malecot comme architecte. Le bâtiment mairie-école est pour l’époque un modèle du genre, à la fois fonctionnel et moderne. De nos jours encore, cette imposante bâtisse blanche tranche dans le paysage, à côté du vieux bourg groupé autour du clocher. Il y eut sans doute dans cette construction une expression des convictions très profondes de Louis Pingon et notamment l’idée que la république (la mairie) et l’école sont liées dans un même combat.
Les travaux sont pratiquement terminés en juin 1940 quand se produit la débâcle de l’armée française et que le pays est envahi par les armées allemandes.
IV. Le résistant et le déporté
Vers le 15 juin 1940, parmi les soldats français en déroute, se présentent à saint Romain un commandant et ses treize légionnaires qui veulent ralentir l’avancée allemande. Pour cela, le commandant projette de faire sauter le pont métallique (l’ancien pont) qui enjambe le Gier. Louis Pingon comprend très vite l’inutilité d’une telle destruction car l’ouvrage est si fragile qu’il cèderait facilement sous le poids d’un blindé et constituerait plus un piège pour les blindés qu’une possible voie de passage. Louis Pingon a alors une discussion très franche avec le commandant. Son parapluie en main, il lance à l’officier » Eh bien, vous ferez sauter le pont, le maire et son parapluie ». Interloqué, le commandant se tait, tourne le dos et s’en va …
Le 22 juin 1940, le maréchal Pétain signe l’armistice avec Hitler en forêt de Compiègne. Le régime de Vichy qui vient de remplacer la IIIème république ordonne aux maires de mettre en berne les drapeaux sur leur mairie. Louis Pingon va résister symboliquement à cette injonction. Comme il ne veut pas que le drapeau apparaisse ainsi pour la 1ère fois sur le nouvel édifice, il le fait déployer la veille et ne mettra le crêpe que le lendemain. De même, il ne retirera jamais les emblèmes républicaines. Le sigle RF et la devise Liberté, Égalité, Fraternité resteront en place malgré la mise en place du régime de Vichy (1940-1944) et de sa devise officielle »Travail, Famille, Patrie ».
C’est à l’automne 1940 que louis Pingon passe d’une résistance symbolique à une résistance active. Il reprend contact avec ses anciens amis francs maçons ou radicaux socialistes et notamment avec le docteur Rolland, un des 80 parlementaires à avoir refusé d’accorder les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Des journaux clandestins transitent dans la maison familiale du Logis: libération, Combat, francs-Tireurs, le père Duchesne et surtout Le Coq Enchaîné, journal qui va servir de base à la fondation d’un groupe de résistants sur Rive de Gier, par Louis Pingon en personne, à l’été 1941.
Ce groupe du Coq Enchaîné va entretenir des relations étroites avec le SOE (Special Operation Executive) et intégrer la France Combattante au sein du réseau Nicolas- Buckmaster. Louis Pingon est agent de ce réseau avec le grade de sous-lieutenant du 1er juin 1942 au 21 janvier 1944. Une des activités du groupe du Coq Enchaîné consiste à fabriquer de faux papiers d’identités et assurer la réception de parachutages.
Cette activité résistante a-t-elle finie par attirer l’attention de l’occupant ? Louis Pingon ne faisait pas mystère de son aversion pour l’occupant.
A la fin du mois de mars 1943, un canon dont les amarres avaient été cisaillées par des résistants en gare de Rive de Gier, tombe d’un train roulant en direction de Givors et s’immobilise sur le chemin vicinal qui mène de Saint Romain à Givors en longeant le Gier. L’incident provoque l’arrivée d’officiers de la Wehrmacht et d’agents de la Reichban. Comme maire de Saint Romain, Louis Pingon est convoqué et questionné à plusieurs reprises sur l’affaire du canon. Ce dernier est curieusement confié à la garde d’un homme présenté comme un sous-officier allemand qu’il a fallu nourrir et loger sur l’habitant. Durant son séjour, le garde du canon semble avoir collecté du renseignement et, le 10 avril 1943, 3 agents de la Gestapo se présentent et fouillent la maison du Logis.Ils ne trouvent rien mais procédant quand même à l’arrestation de Louis Pingon qui a juste le temps d’embrasser une dernière fois les siens.
Louis Pingon est emmené au siège de la Gestapo à Lyon. Il est alors incarcéré au fort de Montluc . Là il est soumis à un interrogatoire musclé. Mais même sous la torture, il ne parle pas et personne du réseau Nicolas ne sera interpellé suite à son arrestation.
Au début de l’été 1943, Louis Pingon est transféré en convoi dans la prison parisienne de Fresnes avant de rejoindre Romainville puis le camp de Compiègne qui est l’antichambre des camps de la mort.
A Saint Romain en Gier, on ne savait pas encore le sort qui devait attendre le maire. Dans l’urgence, le conseil municipal désigne provisoirement à la tête de la commune M Jacques Descours qui restera en fonction jusqu’en 1946. Assez bizarrement, la préfecture ne mettra administrativement fin aux fonctions de maire de Louis Pingon que le 10 avril 1944, soit un an après son arrestation et 3 mois après son décès !!!
Le 29 octobre 1943, Louis Pingon est finalement déporté au camp de Buchenwald. Comme il est maçon de métier, il est affecté aux travaux de terrassements du tunnel de Dora qui doit abriter les armes secrètes avec lesquelles Hitler compte encore et illusoirement renverser le cour de la guerre.
Le travail est harassant et Louis Pingon, qui a déjà une dure vie de labeur, approche la cinquantaine. Le manque de nourriture et d’hygiène, les coups des surveillants SS et des Kapos ont finalement raison de lui.
Le 21 janvier 1944, il s’éteint d’épuisement et de souffrance sous les schlagues pour »travail insuffisant ».
On ne saura jamais ce qu’il est advenu de la dépouille de Louis Pingon. Seules ses affaires ont été, beaucoup plus tard, restituées à sa famille.
La croix de guerre 1939-1945 avec palmes et le grade de chevalier de la légion d’honneur lui seront accordés à titre posthume en 1946.
Dans sa séance du 21 juin 1945, le conseil municipal de Saint Romain décide que la mairie école portera désormais le nom de Louis Pingon. Le 13 avril 1947, la plaque de marbre comportant notamment un médaillon en bronze représentant Louis Pingon est inaugurée.
Le 27 avril 1991, enfin, la place de la mairie devient la place Louis Pingon.
Avec le temps, la mémoire de cette période tragique a tendance à s’estomper à mesure que disparaissent les derniers témoins directs de ces évènements.
Puisse le souvenir de Louis Pingon, de son héroïsme, de son sacrifice pour son pays et ses idéaux ne jamais s’éteindre …
Cette article était paru dans la « GAZETTE DE ROMAIN » n°5 printemps 2015. Il avait été complété, corrigé et validé par Guy Pingon (1924-2017), fils ainé de Louis Pingon.